L’idolâtrie des temps modernes

L’homme, disait quelqu’un, est une machine à créer des dieux pour dire que la croyance en un être ou une réalité transcendante ou immanente, matérielle ou immatérielle est intrinsèque à la nature humaine. Il y a donc une tendance naturelle chez lui à croire et c’est pourquoi tous les peuples ont, à défaut d’un dieu unique, vénéré des divinités imaginaires ou incarnées dans des êtres (animal ou plante) ou des objets. Les religions révélées sont venues pour purifier et orienter ce penchant spirituel vers la reconnaissance du vrai Dieu, le créateur des cieux et de la terre. Tous les prophètes ont ainsi trouvé des idoles et tous se sont mis à les combattre. Abraham disait ceci à son père idolâtre : « ô mon père, pourquoi adores-tu ce qui n’entend ni ne voit, et ne te profite en rien ? » (S19V42). Moise (AS) n’a- t-il pas cassé le veau d’or, Abraham les statuettes et Mohamed plus de 300 idoles qui gravitaient autour de la Kaaba et dont chacune représentait le dieu d’une tribu. Dans le même souci de préserver la pureté du culte Aboubakr (RA) avait déraciné, par crainte qu’il ne devienne objet d’adoration, l’arbre sous lequel les compagnons prêtaient serment d’allégeance au Prophète (PSL) et qui est mentionné dans le Coran (S48-V18).

 «  Allah  a  très  certainement  agréé « Allah a très certainement  agréé les croyants quand ils t’ont prêté le serment d’allégeance sous  l’arbre. Il a su ce qu’il y avait dans leurs cœurs, et a fait descendre sur eux la quiétude, et Il les a récompensés par une victoire proche »

C’est ce même souci qui animait Omar (RA) quand il s’écriait, s’adressant à la pierre du Kaaba appelé « hajaratoul aswat » :  «  tu  n’es  qu’une  pierre,  si je n’avais pas vu le Prophète t’embrasser, je ne l’aurais pas fait ». C’est dire combien ils étaient jaloux de la pureté de leur foi et combien ils craignaient de verser dans l’idolâtrie. Je crois que, malgré ces efforts, la vénération de formes ou d’entités physiques persiste encore dans les sociétés  musulmanes.  Le  Sénégal ne fait pas figure d’exception ; le totémisme y demeurant avec une ténacité irrésistible. Qui ne connaît pas le varan sacré de Kaolack, les couleuvres  vénérées  dans  les  autels en milieu lébou, wolof et sérère, les « bois sacrés en milieu diolas », les champs mystiquement hantés « tool bay dee » (littéralement quiconque les exploite meurt), les tamariniers, baobabs et autres arbres de nos brousses intouchables parce que censés investis d’un esprit maléfique ? Autant de croyances et de représentations qui nous maintiennent dans un syncrétisme religieux abject. La nature a été créée au service de l’Homme  et  celui-ci  au service exclusif de Dieu mais la donne semble aujourd’hui inversée car au lieu d’exploiter la nature et s’en rendre « maître et possesseur » l’individu sénégalais voire africain s’est mis à la vénérer. Cela peut même expliquer, en partie, notre retard économique. A ce propos Allah dit : « Ne voyez-vous pas qu’Allah vous a assujetti ce qui est dans les cieux et sur la terre ? Et Il vous a comblés de Ses bienfaits apparents et cachés. Et parmi les gens, il y en a qui disputent à propos d’Allah, sans science, ni guidée,   ni   Livre   éclairant.» (S31,V20).

Allah a soumis à l’homme une partie de Son univers pour qu’il en jouisse et non pour qu’il la vénère car l’adoration est un droit exclusivement divin. Tous les prophètes ont ainsi interdit à leur peuple d’adorer autre chose qu’Allah    (swt) Qui dit : « Nous avons envoyé dans chaque communauté un Messager, [pour leur dire]: «Adorez Allah et écartez- vous du Taghut»(S16V36). Le Tâghût correspond à tout ce qui est adoré en dehors d’Allah l’Unique, comme les humains, les pierres, les vaches…

Mais à côté de cette idolâtrie que l’on pourrait qualifier de physique ou matérielle, il y a une autre plus vile et plus pernicieuse parce que diffuse et quasi imperceptible.

Beaucoup de gens en effet ont fini de déifier l’argent et tous leurs efforts sont ainsi tournés vers sa quête. Ils  ne se soucient même pas du caractère licite ou illicite de l’origine leur biens alors que Dieu a dit dans un hadith qoudsiyou que quiconque ne se soucie pas de la licéité de la façon dont il gagne ses biens, Je ne me soucierai pas de laquelle des portes de l’Enfer Je le précipiterai.

D’autres adorent le dieu du sport (le football, la lutte et les autres jeux) : combien sont-ils ceux qui, pour un match de football, un combat de  lutte sont prêts à sacrifier les prières de toute une journée ? Ils sont prêts   à dépenser des sommes faramineuses pour parrainer un match de football, un combat de lutte, ou une soirée dansante mais rechignent à payer la facture d’eau de la mosquée. Perdre tout un après-midi à suivre ces amusements leur est  plus  aisée  qu’accomplir  une salat d’à peine cinq minutes. Quiconque a ce comportement doit savoir que son attitude révèle  que  ces choses occupent plus de place qu’Allah dans son cœur. Tout ce qui, en effet, détourne l’individu du culte pur et exclusif d’Allah fait figure d’idole qu’il le sache ou pas.

Par ailleurs, certaines personnes, abasourdies par les qualités exceptionnelles d’un homme de Dieu en arrivent à le prendre pour Dieu. C’est cela qui est arrivé aux « gens  du livre » au point qu’ils prennent pour les uns Insa et pour les autres Houseyrou comme des fils de Dieu. Allah récuse cette croyance en disant « Il ne convient pas à Allah de S’attribuer un fils. Gloire et Pureté  à Lui ! Quand Il décide d’une chose, Il dit seulement : “Soi ! ” et elle est » (S19-V35). Dans la même sourate Il dit (Versets 88 à 91) : « Et ils ont dit : “Le Tout Miséricordieux S’est attribué un enfant ! ”.Vous avancez certes là une chose abominable ! Peu s’en faut que les cieux ne s’entrouvrent à ces mots, que la terre ne se fende et que les montagnes ne s’écroulent, du fait qu’ils ont attribué un enfant au Tout Miséricordieux »

N’est-il pas plus grave de prendre une personne pour Dieu que de lui attribuer un fils ? Et bien souvent, celui à qui ce culte est adressé enseigne le contraire et s’est conformé, de son vivant, à la pureté du culte.

D’autres encore suivent des gens considérés comme guide  dans  la voie d’Allah par pure tradition ; cela les amenant à vénérer une lignée, voire un simple patronyme. Pourtant Serigne Touba a clairement dit dans Massalikoul Jinaan «Éprouve les hommes avant de s’engager  avec  eux » pour signifier que la naissance ne suffit pas pour être un bon guide. Le Cheikh a dit, par ailleurs, que le tawhiid (science de l’unicité de Dieu) est le savoir qui, à lui seul, peut sauver la personne dans l’au-delà alors que si la personne meurt avec tous les autres types de savoir sans le tawhiid, elle sera damnée. Il dit d’ailleurs un jour à un de ses disciples qui lui manifestait un très grand zèle: « pourvu  que vous ne versiez dans l’idolâtrie ». Le disciple lui demanda : « est-ce qu’un mouride peut être idolâtre ? » Le Cheikh lui répondit qu’effectivement celui  qui  suit  un  individu  pour sa filiation avec moi sans que celui-ci  ait un comportement en conformité avec mes enseignements est bien dans l’idolâtrie.

Il y a enfin, le port de morceau de bois, d’os, de fils noués, la croyance aux systèmes des rabs (Mboosé, Mame coumba bang, Leuk Daour Ndaw, Mame coumba Lamb et que sais-je encore), autant de choses auxquelles  on  attribue  la   capacité  à nuire ou à profiter en quoi que ce soit. Toutes ces pratiques et croyances relèvent du paganisme et il convient de s’en écarter pour n’avoir Qu’Allah comme refuge. Dieu nous invite à cet abandon à Lui quand il dit : « Dis : rien ne nous atteindra en dehors de ce que Allah a prescrit pour nous. Il est notre Protecteur. C’est en Allah que les croyants doivent placer leur confiance ».

Nous pouvons, en définitive, dire que l’idolâtrie est une chose abominable car c’est une négation des Bienfaits du    Pourvoyeur    Suprême.    Tous les prophètes et hommes de Dieu l’ont combattu mais elle demeure encore en prenant des formes moins perceptible certes, mais toujours aussi infâme, sinon plus que les pratiques précédentes. Nous devons donc avoir à l’esprit cette injonction coranique qui résume le projet de tous les prophètes qui se sont succédés sur terre; « Il  ne leur a été commandé, cependant, que d’adorer Allah, Lui vouant un culte exclusif, d’accomplir la Salat  et d’acquitter la Zakat. Et voilà la religion de droiture » (S98-V5).

Mamadou Ngom
Sociologue, Inspecteur de l’Education
Juillet 2015