Enregistrements dissimulés ou volonté de nuire ? : Analyse sous un prisme juridico-religieux

La conceptualisation hobbesienne de l’état de nature, qui   n’était qu’une hypothèse fictive de départ dans son

raisonnement philosophique, semble se transposer invraisemblablement dans nos sociétés actuelles.

 En effet, tel qu’il avait été théorisé par Hobbes, l’état de nature est caractérisé par la guerre de chacun contre chacun où l’homme développe toutes ses capacités de nuisance pour anéantir son semblable.

 Cependant, la structuration de notre milieu social actuel présente toutes les caractéristiques de cet état de nature au regard des coups bas, des crocs en jambe, de la médisance, du dénigrement gratuit, des délations et des combines malsaines ourdies à dessein pour ternir l’image de son frère musulman.

Maintenant, dans nos sociétés aucune stratégie maladroite et malhonnête n’est de moins pour jeter de l’opprobre et ridiculiser publiquement son frère musulman. Et, le recours aux enregistrements clandestins en est une. Malheureusement, depuis un certain temps on a constaté au Sénégal le recours à ces enregistrements audiovisuels dissimulés et leurs diffusions sur internet afin d’entacher l’honneur et la réputation d’honnêtes gens.

L’invasion, de la sphère sociale par ces comportements vicieux, a profondément parasité et désarticulé les rapports sociaux. Résultat des courses, l’animosité, la jalousie et la volonté de nuire par plaisir rythment la quotidienneté des rapports humains. Et naturellement, l’hypocrisie s’installe au cœur des relations humaines parce que celui-  là qui vous sourit n’hésite pas à vous poignarder dans le dos.

De ce fait, la vie en harmonie, la paix, l’union des cœurs et l’amour fraternel sont devenus, aujourd’hui, des valeurs rares.    Or,  c’est ce que l’Islam a toujours enseigné à travers le Prophète (PSL).

Mais la sécularisation galopante du 21ème   siècle a engendré un dépérissement généralisé des valeurs religieuses et des bons comportements qui devaient être le socle des rapports humains.

Par conséquent l’homme, en enfreignant les règles et valeurs cardinales enseignées par la religion, s’auto-installe dans une société en perpétuel conflit où l’homme est un véritable loup pour l’homme pour reprendre le philosophe Thomas HOBBES.

Les enregistrements dissimulés se révèlent aujourd’hui comme une véritable arme de guerre servant à abattre ou à nuire lâchement à son frère musulman.

Ces comportements veules et vils dénotent du délaissement de l’enseignement du Prophète(PSL), lequel délaissement nous a installé dans une véritable jungle sans foi ni loi où n’importe qui fait n’importe quoi.

Or, le prophète(PSL) a été envoyé pour parfaire la noblesse des comportements. Et, il nous rappelle dans ce même sillage que les meilleurs d’entre nous sont ceux qui jouissent des bons caractères.

Parmi, ces bons caractères enseignés par le Prophète(PSL) il y a le fait de se méfier de toute conjecture à l’égard des autres et à plus forte raison les médire. Cela est doublement corroboré  par  un verset et un Hadith (tradition prophétique) rapporté par Abu Hurayra. En effet, Allah dit à la Sourate 48 (les appartements) verset 13 : « Ô vous qui avez cru ! évitez de trop conjecturer (sur autrui) car une partie des conjectures est péché. Et n’espionnez pas ; et ne médisez pas les uns des autres. L’un de vous aimerait- il manger la chair de son frère mort ? (Non) vous en aurez horreur… »

Dans ce même registre, selon Abu Hurayra le Messager de Dieu (PSL) a dit : « N’employez pas vos cinq sens à la recherche des défauts des autres et ne vous espionnez pas. Bannissez entre vous toute concurrence déloyale, toute envie et toute haine. »

A la lecture combinée du verset précité et de ce Hadith, l’on se rend compte qu’Allah réprouve fortement la médisance et la calomnie parce que le processus d’interdiction commence par la phase psychologique(le fait d’avoir certaines suppositions négatives sur la personne est péché, mise à part alors toute extériorisation en parole.) Qu’en est-il alors de ceux-là qui passent tout leurs temps à dire du mal sur le dos de leurs frères musulmans ?

En outre, Allah(SWT) interdit dans  le verset 13 précité le recours à l’espionnage et le Hadith rapporté par Abu Hurayra l’étaye à suffisance. Le musulman doit se garder d’espionner son frère musulman pour enfin révéler ces défauts aux autres.

Or, l’enregistrement clandestin est le prototype de l’espionnage. Par voie de conséquence, ces enregistrements ne peuvent trouver un fondement dans l’Islam surtout si son auteur est mû par une intention perfide et sournoise d’écorner l’image d’une personne. En réalité, ces enregistrements dissimulés s’apparentent à une véritable mesquinerie qui, au finish,  remet  non pas en cause la crédibilité de la personne subrepticement enregistrée mais celle de son auteur.

Cependant, une petite digression nous permettra d’analyser les contours juridiques de ce phénomène des enregistrements clandestins qui commence à prendre gravement forme dans notre pays.

Le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication a apporté son cortège de dégâts avec notamment l’apparition de nouvelles situations pénalement répréhensibles.    Au Sénégal, l’enregistrement clandestin en soi ne revêt aucun caractère infractionnel. Mais depuis 2008 deux lois ont enrichi le dispositif normatif sénégalais et ont incriminé le délit d’enregistrement des données à caractère personnel et leur divulgation pour porter atteinte   à la  considération  de  l’intéressé  ou à l’intimité de sa vie privée. Il s’agit de la loi 2008-11 du 25 janvier 2008 portant cybercriminalité et la loi 2008-12 du 25 janvier 2008 relative aux données à caractère personnel.

D’ailleurs, la loi relative  aux  données à caractère personnel en son article 34 dispose que la collecte, l’enregistrement, le traitement, le stockage et la transmission des données à caractère personnel doivent se faire de manière licite, loyale et non frauduleuse. A la lumière de l’article 4 alinéa 6 de cette même loi, la voix d’une personne peut être considérée comme étant une donnée à caractère personnel. Par conséquent, rien que l’acte matériel d’enregistrer la voix d’une personne à son insu suffit pour établir la violation de l’article 34 précité.

De   même, l’article 431-22 de la loi portant  cybercriminalité dispose: «  Quiconque  aura collecté des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, sera puni d’un emprisonnement  d’un  (1)  an  à sept

(7) ans et d’une amende de 500.000 francs à 10.000.000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement. » Toutefois, il importe de relever qu’en l’état actuel, le juge sénégalais semble ne pas attacher toute la répression qui sied à ces enregistrements dissimulés. C’est pourquoi, cet acte pénalement condamnable commence à prendre des proportions démesurées.

Un autre point de droit non moins important est l’irrecevabilité de l’enregistrement  clandestin comme  moyen  de  preuve. En effet, l’irrecevabilité trouve fondamentalement sa justification dans la déloyauté du procédé d’acquisition de la preuve. C’est pourquoi au-delà de la religion, le droit même refuse d’attacher à ces enregistrements dissimulés une force probatoire.

Même endroit pénal où l’administration de la preuve est libre, l’enregistrement dissimulé d’un prévenu (même si ce dernier avouait dans l’enregistrement être l’auteur d’une infraction) est parfois déclaré irrecevable comme moyen de preuve du fait de la déloyauté du procédé utilisé par la partie civile pour entrer en possession dudit enregistrement. Ainsi, l’irrecevabilité de l’enregistrement  clandestin comme moyen de preuve découle des manœuvres subreptices et de la fraude concoctée de toute pièce. Or, en droit la fraude corrompt tout.

Rappelons que l’enregistrement clandestin est le fruit d’un acte délictuel notamment l’espionnage.  En l’état du droit positif sénégalais l’espionnage n’est pas incriminé par le législateur mais c’est le contraire en France où l’espionnage supporte une qualification délictuelle.

Le délit d’espionnage trouve son siège dans l’article L226-1 et 2 Code Pénal français. Ce délit se résume d’une part dans la captation, l’enregistrement ou la transmission sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, et d’autre part, la communication au public des informations enregistrées.

Au-delà de ces mises au point sur le plan juridique, les enregistrements dissimilés révèlent à coup sûr une volonté délibérée de nuire et cela est justifié par  les  montages  altérants  et la provocation des réponses de la personne enregistrée à son insu.

Il importe de souligner que les enregistrements ne sont pas diffusés à l’état  dans  lequel  ils  ont  été  faits. En effet, certaines personnes malintentionnées procèdent maladroitement à des montages en vue de déformer radicalement  la teneur des propos tenus dans l’enregistrement brut. Le but poursuivi est alors de vouer aux gémonies d’innocentes personnes. Ainsi, la mauvaise foi de l’auteur de l’enregistrement n’est plus à démontrer dès lors qu’il procède à des compilations de propos contradictoires qui enlèvent à l’enregistrement toute cohérence et crédibilité.

Dans la foulée, certains auteurs d’enregistrements clandestins font dans la provocation. Autrement dit, l’instigateur de l’enregistrement dissimulé tente sciemment de faire dire à son interlocuteur des propos répréhensibles et condamnables qu’il pourra éventuellement utiliser pour une large diffusion sur internet.

En l’espèce on peut invoquer le cas des enregistrements de Moustapha Cissé LO. En effet, dans ce cas précis l’auteur de l’enregistrement a procédé à des montages de nature à enlever complètement sa voix de la bande sonore diffusée sur internet. Or, à écouter la bande sonore l’on se rendra compte qu’il disait pire que Moustapha Cissé LO parce qu’il provoquait les réponses de son interlocuteur.

C’est le même scénario avec l’enregistrement clandestin dont Souleymane Jules DIOP faisait l’objet dernièrement. Les exemples pouvaient être multipliés par rapport à ce phénomène qui a pris une ampleur insoupçonnée au Sénégal.

Le Sénégal est un pays à majorité musulmane mais les comportements quotidiens ne les attestent jamais. Or, cette majorité devrait inéluctablement déteindre sur nos modes de vie de sorte que les bons caractères évoqués plus haut soient une réalité dans nos rapports personnels.       Il est incompréhensible qu’un musulman puisse souhaiter du mal à son frère  ou le haïr au point de le vilipender pour entacher son honorabilité et sa respectabilité.

Et pourtant, le Prophète(PSL) a toujours enseigné au non dévoilement des défauts des autres comme ça Allah(SWT) nous couvrira d’ici bas et  à  l’au-delà.  Le   Prophète(PSL) dit dans le Hadith rapporté par An Nawawî : « celui qui couvre une faiblesse (physique ou morale) d’un musulman, Allah(SWT) le couvrira dans ce monde et dans l’autre. »

Mieux, le Prophète (PSL) ne nous a-t-il pas enseigné qu’aucun de nous (musulmans) ne devient véritablement croyant, jusqu’à ce qu’il aime pour son frère, ce qu’il aime pour lui-même ?

Mais a y voir de prés, on dirait que nous nous sommes complètement détournés des enseignements du Prophète(PSL) tout en  prétendant être ses inconditionnels. Les Dahiras et certains personnes dénommées « Soop Nabi »  (les  inconditionnels du Prophète(PSL) foisonnent dans ce pays mais il est grand temps qu’on passe à « Toop Nabi » c’est-à-dire suivre strictement ses enseignements.

Ces enregistrements dissimulés ne reposent ni sur le Coran encore moins sur les enseignements du prophète(PSL) et ce sont les musulmans qui s’adonnent à une telle pratique sournoise. Dès lors, il ya lieu alors de conformer davantage  nos  intentions, paroles et actes à ce qu’Allah(SWT) agrée.

Le Jour du Jugement dernier que nous projetons dans un futur lointain, nous est trop proche. Et, chacun de nous comparaitra devant le Tout Puissant et répondra de tout acte qu’il a eu à commettre durant sa vie d’ici. La conscience de l’irrémédiabilité et de l’imminence de cette comparution devrait nous conduire sans nul doute à faire du bien et de le dire envers les autres.

Cheikh Mabèye SECK
Magistrat