« Croisade contre les anti-modèles pour la promotion des valeurs islamiques »

 La vie est une répétition de la vie, les hommes sont des copies des autres, vivants ou morts. Chaque personne cherche à être ou à devenir un ‘quelqu’un’. Chacun cherche un modèle, une référence.
Tous les jours, par le biais des multimédias, la société dite moderne nous propose des modèles que nos jeunes imitent et copient à la lettre. Et finalement la télévision devient le miroir du peuple sénégalais qui reflète nos comportements au quotidien. A vrai dire, les Sénégalais méritent le ‘prix Nobel de l’imitation’.

L’illustration la plus parfaite de cette imitation aveugle et démesurée est la multiplication des ‘’fan’s club’’ allant du lutteur à l’homme politique, en passant par l’artiste, le footballeur, le comedien … De ce fait, la société Sénégalaise apparait comme une représentation théâtrale où les acteurs sont les anti-modèles (lutteurs, danseurs, chanteurs, comédiens, animateurs, hommes politiques…) et les téléspectateurs, le peuple.

Les multimédias forment tous les jours leurs stars et nous les proposent, pour ne pas dire nous les imposent. Mais quel est le modèle qu’ils nous présentent ? Est-il en phase avec les défis multiples que nos pays pauvres doivent relever ? L’Islam peut il ou doit il lutter contre les anti-modèles ? Autant de questions qui interpellent tous les esprits éclairés et soucieux de l’avenir de la Nation.

Malheureusement, les modèles que nous proposent nos médias ne sont pas toujours les meilleurs encore moins, les plus utiles pour former des jeunes patriotes, citoyens, engagés et sensibles aux défis de leur patrie. Une jeunesse qui se préoccupe au moins de l’avenir de son pays, soucieux de sa destinée, qui préserve le bien public, qui respecte les lois et les institutions, bref un acteur du développement. Au moment où certains de nos jeunes sont des acculturés, d’autres s’empressent de fuir sunugal au risque de leur vie (Barssa ou Barzaq), d’autres manquent de motivations dans les études (chômeurs à cols blancs) et d’autres encore cherchent refuge derrière l’alcoolisme, l’agression, le gain facile et le plaisir. Et pourtant, les bons modèles ne manquent pas, raison de nos propos : promotion des valeurs positives.

Voila cinquante et une année que notre pays commémore l’anniversaire de son accession à la souveraineté nationale après plus d’un demi-siècle de domination politique, d’exploitation économique, d’aliénation culturelle et de déstabilisation sociale.

Cinquante et une année après l’indépendance politique, il est regrettable de constater une dégradation des valeurs morales, une crise identitaire et une crise des repères qui se manifestent par l’adoption, par nos jeunes, l’avenir de la Nation, d’autres modèles importés. L’être ‘’hybride’’ que nous sommes, complexés culturellement, consomme aveuglément tout ce qui vient de l’extérieur, sans pour autant trier ce qui est bon de ce qui est mauvais. De ce fait, le Pr. Cheikh Anta Diop disait lors d’une Conférence à Niamey (Niger) en 1984 :

« L’ex-colonisé [que nous sommes] ressemble à cet esclave libéré qui va jusqu’au pas de la porte de son maître, puis revient à la maison, puisqu’il ne sait plus où aller […] ».

L’auteur de Antériorités des civilisations négres (Paris, Présence africaine, deuxième édition, 1993) qui, par sa modestie et son engagement, a démontré de manière irréfutable l’antériorité des civilisations négres et des systèmes de valeurs que recèle l’Afrique,  ajoute :

« Le mal que l’occupant nous a fait n’est pas encore guéri, voilà le fond du problème. L’aliénation culturelle finit par être partie intégrante de notre substance, de notre âme. Et quand on croit s’en être débarrassé, on ne l’a pas encore fait complètement ».

A quoi nous sert l’indépendance, si ce n’est de pouvoir rompre avec les chaines de la dépendance culturelle et politico-économique ?
A quoi nous sert l’indépendance, si ce n’est de pouvoir adopter notre propre modèle de développement sur la base de  nos réalités historico-culturelles et de nos priorités ?

A quoi nous sert l’indépendance, si notre école semble être impuissante face a la pénétration des antivaleurs et à la prolifération des anti-modèles ? Car c’est au sein même des écoles où l’on rencontre l’expression la plus parfaite de l’impact des anti-modèles dans les consciences. Les temps de recréation sont transformés en compétitions de lutte entre jeunes enfants, qui, en temps normal, voudraient devenir leur maitre ou leur maitresse ou même médecin, ministre ou ingénieur.

A quoi nous sert l’indépendance, si nos jeunes écoliers et autres étudiants préfèrent vivre l’American way of life, plutôt que de s’ancrer dans leurs valeurs traditionnelles de jom, de ngor, de kersa, de fulla et de fayda ? Notre école est-elle complice ? Est-elle un maillon dans la chaine de fabrication de jeunes insouciants sans valeurs de base aucune, complexés culturellement, reproduisant ainsi le schéma de la colonisation dans sa version nouvelle dite de néocolonialisme aux conséquences plus désastreuses ?
Le monde dit “moderne” remet sans cesse en cause nos valeurs traditionnelles pour nous projeter vers des horizons nouveaux incertains.

Il est vrai qu’aucun pays ne peut être en marge du vent du progrès de la science et de la technologie qui souffle dans notre monde contemporain et qui a révolutionné la vie de l’homme, voulant améliorer ses conditions d’existence. Mais qu’a-t-il apporté à la spiritualité et à la moralité ? Chaque jour, femmes, enfants, personnes âgées meurent de faim, par manque de minimum vital ou faute d’accès aux soins médicaux primaires. Des familles sont expulsées de leur foyer par les faits de guerres, le chômage frappe terriblement les couches les plus vulnérables de la société, des innocents sont victimes d’attentats meurtriers, l’exploitation sexuelle de femmes et le trafic d’enfants prennent des proportions dramatiques. Des millions de personnes à travers le monde, vivant dans la pauvreté et l’insécurité, trouvent désespéramment refuge dans l’émigration clandestine au risque de leur vie. Ils sont ainsi exposés à tous les dangers, dépourvus qu’ils sont de leur dignité, de leur liberté et de leurs droits fondamentaux. Sous le couvert de concepts tels que liberté, démocratie, modernité, laïcité, une croisade farouche est menée contre ceux qui veulent se conformer strictement aux prescriptions de leur religion. On assiste à la montée en croissance du Mal et la marginalisation, voire la diabolisation (consciente ou inconsciente) du Bien, et rares sont les pays qui sont à l’abri.

Voila donc notre monde contemporain avec ses paradoxes et ses contradictions instaurées par ses occupants qui étaient censés d’y faire régner la paix et la stabilité. C’est ce qui a, sans doute, poussé l’égyptologue Jean Leclant à s’interroger, dans  un dossier intitulé « Ce que l’Egypte nous a apporté » (paru dans L’hebdomadaire Le Point,  du 22-29 décembre 2000, numéro 1475-1476, pp. 134-156) en ces termes :

« Dans le monde si bouleversé qui est le nôtre, soumis à de perpétuelles et si rapides mutations, l’homme contemporain, face à son avenir incertain, ne sent-il pas le besoin de se tourner vers les réalisations du passé pour tenter d’y déceler quelques promesses d’avenir ? »

C’est dire que les théoriciens ont échoué dans leur volonté prétentieuse de régir la vie sur terre par les seules pensées philosophiques qu’ils ont élaborées.  En réalité, l’Homme, en tant que créature imparfaite, ne peut tracer lui-même le chemin de son salut sur terre et à l’Au-delà. En conséquence, l’humanité devrait retourner aux enseignements divins pour établir une société fondée sur la Justice, l’Equité et la Vérité.

Dans cette optique, « il appartient à l’historien de connaître les fondements essentiels d’une culture à base religieuse qui a imprégné de sa marque l’évolution de l’humanité et qui donne, de nos jours encore, la référence morale et politique principale à des millions d’individus » (Marcel A. Boisard, L’humanisme de l’Islam, Paris, Albin Michel, 1979, p. 19).

La propagation des anti-modèles est due à plusieurs facteurs. En effet, les pays économiquement faibles en deviennent culturellement, moralement et spirituellement. Les parents, en raison des difficultés économiques sont plus préoccupés à la survie de leur progéniture plutôt qu’à leur éducation de base, suivant les valeurs positives. Quant aux enseignants/éducateurs, dans la majeure partie, le métier n’est plus perçu comme un sacerdoce, mais comme un besoin de survie. Un tel contexte d’obscurantisme, à l’image des coupures intempestives d’électricité, serait peut être profitable aux politiques pour se présenter en messie. Dommage, des politiques méprisant leurs convictions et changeant de positions du jour au lendemain au gré de leurs intérêts crypto-personnels et au détriment du peuple sénégalais. Leur amour acharné pour le pouvoir temporel et les plaisirs mondains les amène à hypothéquer la paix sociale, gage de tout progrès économique. Les clivages opposent, d’une part, des dirigeants corrompus, hautains, arrogants qui ne se soucient que de leurs intérêts crypto-personnels faisant ostentatoirement fi des souffrances du peuple et, d’autre part, un peuple laissé à lui-même, abandonné et qui cherche à s’affranchir, à se libérer, à prendre entre ses deux mains son propre destin, à refuser l’injustice et l’arbitraire. L’expression la plus flagrante de cet engagement populaire s’est fait ce 23 juin 2011. Soulèvement spontané ou manipulation politique ? Les avis sont partagés. Tout dépend du camp dans lequel on se situe.

L’espoir pouvait être permis avec le nombre important de chefs religieux que compte notre pays. A ce niveau, il est regrettable de constater que dans leur majeure partie, la préoccupation n’est plus à l’éducation morale et spirituelle des disciples, mais plutôt à leur asservissement et à leur exploitation, reproduisant ainsi le schéma du féodalisme entre Seigneurs et Serfs ou encore celui de l’époque moderne opposant Bourgeois et Prolétaires, en Europe.

Démission des parents des politiques et des religieux dans l’éducation, relayés par les multimédias qui nous proposent les modèles et les règles de vie à suivre. Les conséquences sont exaspérantes. Le fils ne respecte plus ses parents, le jeune ne reconnait plus l’autorité, la femme téléguidée de l’extérieur  revendique toujours  des droits voulant ainsi rompre avec les lois divines ; l’heure n’est plus à l’engouement pour les études (taux élevé de déperdition scolaire), mais à la recherche de la force physique et brutale « gage de réussite sociale ». C’est ainsi que dans la Rome Antique en déclin, le peuple ne réclamait plus que des jeux et du vin et se fût la grande époque des combats des gladiateurs.

Le savant est relégué au second plan au profit du riche ou même du clown. La rivalité n’est plus à la bonne morale, mais plutôt à l’opulence, à l’indécence, à l’arrogance et à l’indifférence à propos de la mort et du jugement dernier.

Les jeunes filles se rivalisent dans le paraitre pour davantage attirer le regard des jeunes garçons, oubliant que l’être humain n’est pas seulement beauté externe, mais il est aussi beauté interne. La femme est chosifiée, utilisée comme une marchandise au gré de la demande du marché des consommateurs. Couvert dans le passé en raison de la décence (kersa), le corps de la femme sénégalaise est aujourd’hui, out (dehors), au vu et au su du grand public, dans la rue, dans les écoles, à travers la télévision et sur le net, sous le couvert de la modernité. Regardez, les clips de ceux qui se présentent comme étant les porte-étendards de la culture sénégalaise. Que de femmes « vêtues, mais nues » pour reprendre l’expression du Prophète (PSL) qui caractérisait la femme d’avant la fin du monde, que de banalité du sexe, que d’insolence dans les propos et d’arrogance dans le paraitre et dans nos cérémonies dans un pays où la pauvreté semble être la chose la mieux partagée.

La femme est ainsi réduite à un objet, à la merci de l’audiovisuel, atteinte dans sa dignité morale. Conséquences de ce marchandage et de cette exhibition qui dépassent souvent le cadre de l’humanité, perte de virginité avant le mariage, grossesses précoces, épilepsie et de nombreuses autres pathologies. C’est dans ce sens qu’Hubert Marcuse et Jean Baudrullard s’accordent pour reconnaitre la société du paraitre comme une société « d’essence antihumaniste ». Le Dr. Lucien Marcellen, dans son ouvrage, La pathologie contemporaine écrit :

« La multiplication à l’ infini de nos désirs constitue aujourd’hui des agents pathogènes, plus redoutables contre l’humanité ».

Pour dire que certaines névroses, conduisent à des suicides comme les immolations par le feu auxquelles nous avons assisté ces temps derniers.

Des proverbes africains ne collent plus à nos réalités. Par exemple, du genre : « Niaari loxo moy takk toubay, wanté yit niaari loxo mooy takk serr » (« ce sont les deux mains qui attachent un pantalon qui servent également à attacher un pagne »). En effet, en raison de la mode (check down qui signifie littéralement « regardez mon derrière » et qui provient des prisons américaines), nos jeunes (garçons et filles) ont perdu le genno. Symbole de l’autorité, de la bravoure, du sens de responsabilité, de la force et de la rigueur, le Genno est même sacré. Il inspirait confiance et pour se faire croire, on n’hésitait pas à prêter serment sur lui en ces termes : « Ci Sa ma gennok baay ». Car, le père incarnait le personnage le plus illustre, le modèle achevé, la référence par excellence de par ses bonnes valeurs telles que : l’honnêteté, l’équité, l’impartialité, la justice, la bienveillance, entre autres. Il s‘avère aujourd’hui que beaucoup de pères n’incarnent plus cette image sacrée, sorte de lumière, qu’ils reflétaient dans la passé et qui illuminait les pas de leurs progénitures. Le modèle de l’enfant est alors cherché ailleurs, le plus souvent en dehors du cercle familial.

La liste de la manifestation de la crise des valeurs est loin d’être exhaustive. Mais nous résumons avec le philosophe Platon qui prophétisait  en ces termes :

« Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maitres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux l’autorité de rien et de personne, alors, c’est là en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie ».

Il est vrai que pour sortir de la pauvreté, nous avons besoin de ressources et d’investissements, mais aussi et surtout d’une bonne morale à l’abri de la corruption, du népotisme, du détournement de deniers publics, de l’amour acharné pour le pouvoir et les biens terrestres, de l’usure, du mensonge…

Fort heureusement notre pays dispose d’un important potentiel moral et spirituel qui mérite d’être exploré, revalorisé, promu, si véritablement nous sommes indépendants, c’est-à-dire libres de nos choix et de nos orientations.

Le Sénégal dispose d’un sérieux réservoir moral et spirituel incarnés par de véritables modèles pouvant servir d’arme de résistance face à l’expansion des anti-modèles, qui au lieu de nous promouvoir économiquement et socialement, nous retardent.

Parmi ces illustres personnages qui ont marqué l’histoire de tout un peuple, de toute une race et de tout un continent, sans nul doute, se distingue Cheikh Ahmadou Bamba Xaadimul Rassul. Il est un modèle de droiture, de persévérance, de dévotion, d’engagement, de probité intellectuelle et morale, de patriotisme…

Monument de la connaissance et de la vertu, symbole de l’unité et de la fraternité, partisan de la justice et de la vérité, toute sa vie durant, Serigne Touba a été sensible aux souffrances de son peuple et s’est engagé, pour son affranchissement de toute tutelle outre que celle divine. C’est de là que son œuvre possède une double dimension à la fois spirituelle et temporelle, africaine et planétaire. Ainsi, son enseignement peut être un pallier pour faire sortir le monde de la crise socio-économique qu’elle traverse présentement et l’Afrique de la pauvreté, si bien entendu il est bien compris et bien suivi. Edem Kojo l’avait très tôt compris, lorsqu’il affirmait :

« L’Afrique n’aura rien à envier au reste du monde tant qu’elle se basera sur d’idéologies d’hommes tel que Cheikh Ahmadou Bamba ».

Baye Fary SEYE