Quand va-t-on enfin ouvrir les yeux, dire la vérité, protester, hurler, manifester et exiger le fantastique coup de balai qui s’impose ?
Le système éducatif fait n’importe quoi, n’importe comment et personne ne dit rien. Aucun dirigeant de ce pays, aucun responsable politique (même ceux de l’opposition) n’a eu le courage de taper sur la table et de dire que cela suffisait comme cela. Mais chacun fait dans l’imposture, la diversion, la démagogie et le dilatoire.
Le fait que le niveau culturel réel des sénégalais s’affaiblit d’année en année est un truisme sur lequel tout le monde s’accorde. Nul n’ignore que le taux de chômage croît de façon exponentielle, que la violence envahit chaque jour nos villes, nos quartiers et même l’université, que la pauvreté, la précarité, et l’exclusion gagne de plus en plus du terrain. Tous ces malheurs ont une seule et même cause : un système éducatif extraordinairement médiocre qui mérite d’être chamboulé de fond en comble car étant comme une gigantesque machine qui détruit chaque année des centaines de milliers de jeunes sénégalais.
Ces maux de l’école sénégalaise ont pour noms entre autres : des politiques inefficaces, des programmes caducs, des enseignants sans formation adéquate donc manquant souvent de niveau, non motivé et prompts à la revendication parce que mal rémunérés, des effectifs pléthoriques, des parents d’élèves démissionnaires devant « la scolarité inutile » de leurs enfants pour qui l’école n’est qu’un simple passe-temps.
Pour ce qui est de l’Etat, il dit avoir consacré 40 % du budget à l’éducation (le nouveau pouvoir l’a diminué à 35 %). Chiffres officiels donc mensongers. Ces chiffres sont ostensiblement brandis pour tromper l’opinion alors que les 80% sont consacrés aux salaires. Il suffit simplement de jeter un coup d’œil sur les conditions de travail dans nos écoles, lycées et universités pour se rendre compte de la supercherie. L’Etat veut atteindre la scolarisation universelle à l’horizon 2015 alors qu’il peine à prendre correctement en charge ceux qui déjà y sont et éprouve davantage de difficultés à donner un emploi à ceux qui en sortent malgré les efforts qu’il dit avoir consenti en matière d’allocations budgétaires en faveur de l’éducation. La massification rime-t-elle avec qualité ? Peut être oui mais à condition de prendre des mesures d’accompagnement efficaces.
A cela s’ajoute des programmes d’enseignements désuets qui font que l’école rate sa vocation de développement pour devenir « une machine à créer des chômeurs et des illettrés ». Le système est en effet hérité de la colonisation et n’a jamais été l’objet de réformes en profondeur alors que l’école coloniale avait des objectifs non pas de développement mais plutôt d’assimilation. Le Général Merlin disait déjà : « l’enseignement se propose avant tout de répandre dans la masse des indigènes la langue française afin de fixer la nationalité. Il doit tendre ensuite à doter l’indigène d’un minimum de connaissances générales mais indispensables, afin de lui assurer des conditions matérielles d’existence meilleure, d’ouverture d’esprit à la culture française et à la civilisation occidentale ». Les « écoles et classes pilotes » qui devaient corriger cette anomalie sont restées éternellement « expérimentales ». Nous devons aller dans le sens d’une adéquation réel entre ce que l’on enseigne et les besoins socio-économiques et culturels de notre pays.
Concernant les enseignants, l’Etat recrute n’importe qui : des professeurs de français qui n’ont jamais lu Molière, qui à l’université ont échoué alors qu’ils faisaient non pas Lettres mais droit ou histoire, des étudiants-cartouchards en pharmacie comme professeurs de maths et même des déficients mentaux sont recrutés. Le cas de celui qui enseignait les mathématiques à Pire alors qu’il n’avait même pas le BFEM est révélateur du laxisme et du manque de sérieux dans le recrutement des enseignants.
L’Ecole élémentaire est encore plus malade avec le recrutement des volontaires de la liste sécuritaire qui n’avait aucun caractère méritocratique mais qui a servi, plutôt, à satisfaire une clientèle politique. En 1995, en effet, l’Etat a constaté une baisse du taux brut de scolarisation (TBS) qui passe de 58% en 1990 à 54,6% en 1994 et a fait de la réduction du coût du maitre un impératif économique pour juguler le déficit en enseignant. Il recourut ainsi aux volontaires en leur octroyant une bourse (et non pas un salaire). Il est vrai qu’avec le chômage endémique, il y a eu des volontaires qui ont un niveau académique très élevé (Maitrise, DEA) mais ceux-ci manquent souvent de motivation car ils sont volontaires malgré eux. Une enquête que nous avons menée en 2004 a révélé que 75% des volontaires ne comptent pas rester dans l’enseignement, 55% considèrent leur métier comme « une simple issue de secours » et moins de 10% seulement affirment être entrés dans l’enseignement par amour du métier. Nous pouvons donc dire que les volontaires ne débarquent dans l’enseignement que par la nécessité de trouver un emploi stable. Actuellement on a arrêté le volontariat mais ses conséquences n’en finissent pas de se faire ressentir car il a déjà rempli nos classes d’un personnel au rabais parce que payé au rabais avec une formation au rabais.
Le recrutement de gré à gré est aussi un des problèmes du système éducatif. Nous avons rencontré des enseignants qui ont arrêté les études depuis plus de dix ans et qui ont été recrutés parce qu’ayant un parent quelque part au ministère ou parce que « connaissant les codes gagnant du marché de l’emploi au Sénégal ». C’est pour dire que, s’il existe de très bons enseignants qui maîtrisent leur art, qui font aimer la littérature, l’histoire ou les mathématiques et qui donnent goût aux études, il n’en existe pas moins des maîtres et professeurs qui sont chahutés par les élèves, ennuyeux à outrance, au savoir limité et au sens pédagogique inexistant. Le malheur c’est que ce type d’enseignant devient de plus en plus nombreux avec les recrutements massifs, fondés non plus sur le mérite mais plutôt sur le népotisme et la corruption.
L’Etat recrute parfois des étudiants médiocres (pas tous), indiscutablement sans avenir dans le secteur privé (plus exigent) et attirés par la stabilité de l’emploi et les vacances prolongées. Sans leur donner le minimum de formation pédagogique, il leur confie des classes sachant bien qu’ils vont détruire et ainsi sacrifier des milliers de jeunes sénégalais. Cela semble être un Programme de Dégradation de l’Education et de la Formation par des séminaires aussi onéreux qu’inutiles qui sont, en réalité, des prétextes pour les cadres du système de se remplir les poches.
Pour ce qui est des effectifs, il n’est pas rare de voir une classe dont l’effectif dépasse cent élèves ; ce qui ne manque pas d’affecter la qualité des enseignements d’autant plus qu’il faut une pédagogie spéciale pour gérer les grands groupes. Une des conséquences de ces grands effectifs est le recours aux classes à double flux qui rendent impossible la bonne gestion du quantum horaire déjà mise à rude épreuve par les grèves répétitives. Ces grèves sont dues, d’une part, au fait que la plupart des responsables de syndicats sont corrompus et souvent mus par des intérêts plutôt individuels et d’autre part par des dirigeants peu soucieux des intérêts de l’école sénégalaise qui, en réalité, est l’école des pauvres et des défavorisés. Comment en serait-il autrement si l’on sait que la plupart de « ces élites » qui gère le système ont leurs enfants dans de bonnes écoles étrangères. La théorie de la reproduction de Pierre Bourdieu explique bien cette situation. Les « héritiers » des élites auront ainsi le monopole des lumières de la connaissance et donc du pouvoir alors que la grande masse sera éternellement condamnée à être dans les ténèbres de l’ignorance, de l’exclusion, de la pauvreté incurable, des inondations et de la soumission. On ouvre hypocritement à cette grande masse les portes d’une école nulle qui lui donne quelques rudiments lui permettant, ultérieurement, d’exécuter de façon docile les ordres des « dignes héritiers ».
Les parents, de leur côté, trouvent l’école inutile, la scolarité de leurs enfants ne valant pas la peine de se déplacer pour aller récupérer les bulletins de notes et l’enseignant croisé dans la rue ne valant même pas la peine d’être saluer. L’enseignant est même parfois vu comme un vulgaire dépravé qu’il faut surveiller pour qu’il n’abuse pas des enfants.
Il y a enfin un paradoxe qui me taraude l’esprit : c’est quand l’école connaît le plus de perturbations que l’on s’arrange pour enregistrer les plus forts taux de réussite aux examens. L’année 2012 en est une parfaite illustration. De qui se moque-t-on ? On a beau couvrir un tas d’immondice, elle n’en exhalera pas moins une odeur fétide. Ne masquons donc pas la réalité mais essayons plutôt de lui faire face afin de lui trouver des solutions justes, honnêtes et durables.
Mamadou NGOM, Socilogue, CUSE,
Eléve-Inspecteur de l’education
(ngomm27@yahoo.fr)