Le cheminement dans la voie de la purification du cœur

Le cheminement dans la voie de la purification du cœur vise une ascension spirituelle qui mène l’âme dans les degrés les plus élevés de perfection, en se référent au saint coran et à la sunnah du Prophète (psl). Cette voie basée sur l’ascension des cœurs dans le monde seigneurial, l’observance de Dieu en permanence, la piété dans l’acte et  la parole voire la recherche à tout moment de l’Agrément d’Allah (swt) est le soufisme. Elle a été suivie par des figures emblématiques de l’islam comme Al-Junayd Al-Baghdadi, Ibrahim Ibn Adham, Imam Al-Ghazali, Ash- Shadhili , Imam Ahmad Ar-Rifahi, Cheikh Abdou Qadr Al-Jilani, Cheikh Ahmadou Bamba et tant d’autres, selon la méthodologie (manhadj). Ces illustres personnalités qui ont évacué de leur cœur tout ce qui est autre que Dieu, en se conformant à Sa Volonté, sont des héritiers des Prophètes par leur science, leurs comportements, leur cheminement spirituel (sulûk), leurs états et stations.

Qu’est-ce que le soufisme ?

Le concept « soufisme » a plusieurs acceptions. Il est conçu comme une purge des vices cachés. Dans ce sens, Ibn `Abidin écrit dans Hashiyah : «  la science qui traite de la sincérité, l’orgueil, l’envie jalouse et l’hypocrisie est une obligation pour tout musulman (fard `ayn). Il en va de même pour les autres maladies de l’âme comme la fatuité, l’avarice, la rancune, la tricherie,  la  colère,  l’inimité, la cupidité, l’ingratitude, la trahison, la  ruse,  le  refus de   la   vérité  par   orgueil, la  dureté  du  cœur  ». A ce propos, Tahtawi écrit dans Maraqi Al-Falah : « La pureté extérieure n’est utile que si elle va de paire avec la pureté intérieure,  la  sincérité,  la   dignité qui élève au-dessus de l’animosité, de la tricherie, de la rancœur, de  l’envie jalouse, et la purification du cœur de tout ce qui est autre que Dieu dans les deux mondes. »

En outre, le concept renvoie à une renaissance spirituelle. Dans ce sillage, Imam Jonayd dira que « le soufisme consiste en ce que Dieu te fasse mourir à toi pour te faire ressusciter en Lui ». Il s’agit de mourir pour devenir, de s’anéantir, par le fana, état d’abolition, pour subsister en  Dieu par le baqa, un état de subsistance pérenne, indifférenciée entre le « Je » divin et un « je » humain ; le divin annihilant en lui l’ego humain. Dans ce sens, le Prophète (psl) rapporta de la part de son Seigneur (swt): « Mon serviteur ne s’est pas rapproché de Moi par meilleur que ce que Je lui    ai ordonné de faire, et Mon serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi jusqu’à ce que Je l’aime, et lorsque Je l’aime, Je deviens son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il voit, sa main par laquelle il saisit, ses pieds avec lesquels il marche, par Moi il entend, par Moi il voit, par Moi il saisit et par Moi il marche » (Abou Houreyra)

Par conséquent, le  musulman  issu  de cette formation est qualifié par Cheikh Ahmadou Bamba, comme « le vrai soufi  ». Il s’ agit d’un  «savant mettant sa science en pratique sans transgression d’aucune sorte .Il devient ainsi pur de tout défaut, le cœur plein de pensée juste , détaché du grand monde pour se consacrer  au service et à l’amour de Dieu, considérant sur le même pied un louis d’or et une motte de terre ». Cet homme arrivé à ce stade ne possède rien et n’est possédé par rien.  Il  adore Allah (swt) pour Son Essence uniquement et non pour un autre motif. Il se soumet à L’Eternel Qui lui manifeste Sa générosité infinie.

Quelle est l’importance du soufisme ?

Dans la législation islamique, les devoirs qui incombent aux musulman sont des jugements ayant trait aux œuvres apparentes, c’est-à-dire qui renvoient au corps et d’autres  liés aux œuvres internes qui concernent le cœur. Les premiers  comportent des injonctions (la prière, l’aumône, le pèlerinage…) et des interdits (le meurtre, la fornication, le vol, la consommation de vin…). Les derniers ont aussi des injonctions (la foi en Dieu, en Ses Anges,  en Ses Livres, en Ses Messagers… la sincérité, la véridicité, le recueillement,  le fait de compter sur Lui en tout et pour tout) et des interdits (la mécréance, l’hypocrisie, l’orgueil, la vanité, la rancune, la jalousie…).

Cheikh Ahmadou Bamba dira que la  science  se  divise,  selon  les  savants, en deux parties : ésotérique et exotérique. L’ésotérique régit l’action  des  hommes et  l’ésotérique  les  états   de l’âme. La première  est  le fiq.h et la seconde, le soufisme. Celui qui se suffit du fiq’h seulement est un fripon alors que celui qui s’engage dans le soufisme en négligeant le fiq’h est un hérétique. Celui qui allie les deux est un modèle à suivre. A  ce  propos,  il  convient de retenir avec Sheikh Abdul Qadr Isa dans Des Vérités du Tasawwuf, que l’observation de la loi (fiq’h) guide l’homme tout au long de sa vie pour lui éviter l’inconduite qui suscite la punition mais ne le guide pas jusqu’au bout du chemin (l’illumination). Par contre, la vocation du soufisme n’est pas seulement d’éviter l’enfer ou d’œuvrer pour le paradis mais plutôt de rapprocher, d’unir l’homme à son Seigneur  (swt). Ghazali  considère cette fonction comme le troisième degré, c’est-à-dire le degré le plus élevé de l’adoration. Le premier degré étant l’adoration par crainte et le deuxième degré étant le renoncement par désir de la récompense de Dieu et de ses délices. Dans ce sens Rabia al- Adawiya dit à Allah : « Mon Dieu, si c’est par crainte de l’enfer que je te sers, condamne-moi à brûler dans ton feu, et si c’est par espoir d’arriver au paradis, interdis-moi l’accès, mais si c’est toi seul que je sers, ne me refuse pas la contemplation de Ta face ». Arnaldez dira que pour arriver à ce stade de « rapproché » de Dieu, il   est nécessaire de franchir le pont qui enjambe la géhenne, et il faut aussi dépasser les jardins de délices.

Ce rapprochement, cette union est comme indiquée dans le  verset  35  de la sourate An-Nur « Lumière sur Lumière ». D’ailleurs, Arnaldez dans « Les états mystiques dans le soufisme musulman », in Le soufisme : voie d’unité, note que les soufis considèrent que l’image de cette lumière, c’est sa réflexion sur le cœur de l’homme et la niche représente le cœur lui-même. La lampe et le verre sont l’éclat du cœur éclairé par la lumière divine. L’olivier béni est un symbole de cette lumière dont la source n’est ni ici-bas, ni en Orient, ni en Occident, car elle est en Dieu. Donc, la lumière qui illumine  le cœur, rayonne dans la lumière qui vient d’Allah (swt). Telle est l’idée de l’union à Dieu.

C’est pourquoi le for  intérieur (bâtin), c’est-à-dire, les œuvres du cœur, sont la base de l’apparent (dhâhir)  et  constituent  sa source. La corruption des œuvres internes annihile les œuvres externes. Allah (swt) dit à ce propos : « Quiconque, donc, espère rencontrer son Seigneur qu’il fasse de bonnes œuvres et qu’il n’associe dans son adoration aucun autre à son Seigneur » (Sourate 18:110). D’ailleurs le Prophète (psl) enseigne que la droiture dépend de la perfection du cœur par sa guérison des défauts et des vices cachés. Il dit : « Il y a certes dans le corps un organe, s’il est bon, tout le corps le sera, et s’il est corrompu, tout le corps le sera : il s’agit du cœur ». Il disait aussi que « Dieu ne regarde pas vos corps, ni vos formes, mais Il regarde vos cœurs ».

Dès lors que la droiture de l’homme est liée à celle de son cœur, qui est    la source dont émanent les œuvres apparentes, il convient qu’il œuvre pour le réformer, le purifier des attributs vils que Dieu nous a interdits et y loger les nobles caractères qu’IL nous a ordonnés. A ce moment, le cœur sera sain et son détenteur sera du nombre des victorieux et sauvés « le jour où ni les biens, ni les enfants ne seront d’aucune utilité sauf à celui qui vient à Allah avec un cœur sain » (Sourate 6 : 151).

Ainsi, la science du cœur et la connaissance de ses maladies est considérée par l’Imâm Al-Ghazali comme une obligation (fard `ayn) pour chaque musulman. La purification du cœuretl’éducation de l’âme (nafs) sont parmi les plus importantes obligations qui incombent à chacun et sont parmi les ordres divins les plus prioritaires et ce, conformément au coran, à la Sunnah et aux enseignements des savants.

Dans Al-Minan Al-Kubra, Ash- Shahrani, note avec Al-Fudayl Ibn Iyad : « Attache-toi à la voie de la vérité et ne ressent pas la solitude à cause du faible nombre des itinérants (sâlik). N’emprunte surtout pas la voie du faux, et ne soit pas trompé par le grand nombre de ceux qui périront. Chaque fois que tu éprouves la solitude, rappelle-toi les compagnons devanciers, accorde une grande importance à les rejoindre, et détourne ton regard de toute autre personne, car elle ne te mettra aucunement à l’abri de la punition de Dieu. Ne te retourne jamais vers elle, car dès lors que tu le fais, elle t’attire vers elle et entrave ton chemin ».

Quels sont les fondements des pratiques soufies ?

Dans Massalik ul jinan, Cheikh Ahmadou Bamba, rappelle que les piliers du soufisme sont au nombre de sept (7) à savoir : le silence, la faim, l’abandon des innovations blâmables, le repentir, les veilles, l’esseulement et enfin la rectitude (rester strictement dans la bonne voie à tout instant). Cheikh Al Yadâli en ajoute un huitième (8e) qui est la crainte d’Allah (swt) professée intérieurement et extérieurement.

Cheikh Ahmadou Bamba écrit aussi dans Huqqa que le soufi considère commecauseefficiente decatastrophe, le fait de manquer un «wird» ou de se gaver d’aliments, fussent-ils licites aux yeux de la loi ! D’ailleurs, le soufi vivifie la nuit noire. Il invoque le Seigneur créateur, sacrifiant son sommeil de nuit à l’intimité avec Allah (swt). La nuit, il fuit le lit, pour s’adonner, corps et âme, à son Seigneur avec ferveur, à travers des prières, la lecture du coran comme le témoigne Allah (swt) dans le verset 18 de la sourate Al Muzzammil (l’enveloppé) qui dit au prophète (psl) : « Ton Seigneur n’ignore pas que tu veilles en prière moins  des  deux  tiers  de  la nuit, moins de la moitié et même moins du tiers, ainsi  qu’une  partie de tes compagnons…Oui récitez le coran  dans  la  mesure   du   possible». Mais aussi par des méditations pour les doués d’intelligence « qui, debout, assis, couchés, se souviennent de Dieu et méditent sur la création des cieux et de la terre… » (3 : 191) et l’invocation qui est l’essence de l’adoration selon le Prophète (psl). Dans ce sens Allah (swt) dit dans le coran  verset  180,  sourate  Al Ahraf : « A Allah appartiennent les plus les noms les plus beaux. Invoquez-le par ces noms… »

En outre, les principaux piliers qui servent de fondation à l’édifice  de  la Sainteté sont : le silence, la faim patiemment endurée, la veillée et l’esseulement,  tout  ceci  exécuté sous le guide d’un directeur spirituel (Cheikh).

De plus, il dira que le voyage des mystiques (tasawwouf) requiert dix (10) apprêts qui sont indispensables aux aspirants (mourides):

La résolution (décision de s’engager dans la voie)

Le chef spirituel qui est un guide dans la voie

La ferveur pieuse qui sert de viatique

L’ablution qui tient lieu d’arme et qui élimine l’état d’impureté

La répétition sans cesse du glorieux Nom d’Allah (swt) qui est leur lanterne

Un haut souci de bonne volonté qui tient lieu de monture

La conscience de son impuissance dans l’abandon à Allah (swt), sert au soufi de bâton d’appui

La détermination qui est sa ceinture, symbolise la constance

La «sharia» constitue la route qu’il suit du début à la fin

Des frères de même but, déterminés, fidèles et sincères, servant de compagnons de route

En définitive, le soufisme, voie de perfectionnement du cœur est le noyau de la religion. Donc, ceux qui agissent pour la pérennité de celle-ci doivent édifier des barricades autour du soufisme qui est l’âme de la religion dont la sharia serait le corps et la foi, la peau qui enveloppe ce corps.

Bounama MBENGUE
Professeur de Lettres modernes
Juillet 2015